Dès le mercredi, plus motivé que jamais par mon boulot, égaré sur le web, je tombe « par hasard » sur un compte rendu de sortie à la Goulotte Quintana au sommet du Taillon, il ne m’en fallait pas plus pour lancer un « vous faites quoi le weekend prochain ? » à l’équipe de la dernière épopée à la Pique d’Endron... Ce sera finalement vers le Campbieil et la voie des Corridors que notre choix se portera, les conditions ont l’air parfaites, et ce pseudo hiver a au moins l’avantage d’offrir des conditions de neige stables totalement indispensable pour oser tenter cette ascension qui se déroule précisément dans les méandres des déversoirs à neige de la face... Dernier point météo vendredi, le meilleur créneau est pour le samedi, tant pis on fera la route le vendredi soir, on se couchera tard, on aurait préféré le dimanche mais on ne va pas chipoter non plus, Mr (ou Mme d’ailleurs on sait pas) Campbieil n’offre pas de telles conditions si souvent !
Départ vendredi soir de Toulouse, sur les chapeaux de roues donc, nous arrivons vers 22h30 sur le parking de la station de Piau, le ciel est clair, ça caille, Isa et Rémi opte pour un bivouac dans la 405 break quand à Solenne et moi ce sera....dans les toilettes du parking (oui vous lisez bien). Comme dit Sylvain Tesson, « l’alpinisme à quelque chose d’un peu marginal », cette phrase prend tout sens à cet instant... Bref après une relative bonne nuit, le réveil sonne à 4h30 et très vite nous voici déjà en marche vers le Campbieil. La nuit est magnifique, l’ambiance magique : une belle lune éclaire la face ainsi que tous les sommets alentours éclatants de blancheur, pas de vent, un calme et un ciel étoilé dont nous sommes privés par notre vie moderne s’offre à nous. Chaque homme ou femme dans sa vie devrait connaitre au moins une fois la sensation de marcher là seul dans la nuit avec comme seul entourage la neige, les étoiles, la roche et un calme profond. Je savoure l’instant, j’aurais pu prendre 1000 photos, pour essayer de capturer l’instant, mais la tache qui nous attend ne m’en donne pas le loisir, et plus nous approchons de la face plus je me sens minuscule.
Attiré par la face que je rejoins trop vite, il est difficile de reconnaitre le départ de la voie surtout dans la nuit. J’entraine tout le monde dans mon erreur et nous mettons ainsi quelques dizaines de minutes précieuses avant de se dire ok, c’est ici, c’est le bon couloir. Dans l’idéal nous aurions du garder du recul pour repérer de loin le couloir. Note pour plus tard, une face de 1100m de haut et de presque autant de large ça s’observe de loin... Il est 7h du matin quand nous attaquons le couloir, il reste encore une bonne heure de nuit avant que les rayons du soleil ne viennent inonder et réchauffer la face. Le premier couloir est raide et encombré de blocs de neige et de glace. La neige est dure mais nous progressons rapidement, et gagnons ainsi le sommet de ce couloir fermé plus haut par une barre rocheuse infranchissable, dont nous devons trouver l’échappatoire. Petite hésitation, sur notre gauche se trouve une pente de neige raide et assez maigre (en épaisseur de neige) qui ne m’inspire pas du tout, plus haut nous apercevons une sorte de petite brèche laissant présager d’une ligne de faiblesse dans la paroi rocheuse. Nous montons voir, et nous aurons raison, la brèche entrevue plus bas est en fait la sortie d’une petite goulotte tortueuse offrant deux petits ressaut en glace. Nous nous y engageons, son escalade est très plaisante, la glace trop fine ne permet pas de poser une broche nous passerons en redoublant de vigilance. Quelques efforts et nous voici dans le grand champ de neige intermédiaire perché au milieu de la face, sorte de vestige d’un glacier autrefois suspendu, que nous allons remonter en son centre par un vague éperon à l’écart du trajet principal d’éventuelles coulées (totalement improbable en ces conditions mais on ne sait jamais). C’est ainsi que nous arrivons à la base du deuxième couloir pour une pause bien méritée. Ce sera l’occasion de profiter du lever du jour sur les magnifiques parois environnantes. Cela fait déjà presque 2h que nous grimpons et pourtant l’altimètre remet les choses à leur place, il nous reste encore 600m de paroi à gravir... Vous avez dit long ? Nous nous remettons en route, Solenne part devant, le deuxième couloir n’offre pas de difficultés bien que raide par endroits. Plus nous montons plus la neige est parfaite. Cette neige appelée « neige couic » dans le jargon alpiniste (merci Isa pour la leçon de vocabulaire), offre des encrages surs à nos crampons et nos piolets, on se régale ! Nous gagnons ainsi l’arête supérieure de l’Eperon Fischesser, à la sortie du couloir, dans une neige immaculée et pas toujours portante. Nous nous relayons Rémi et moi pour faire la trace, nous « brassons » quelques fois jusqu’à mi cuisse, ce qui me vaudra le surnom de « bulldozer rouge de Mazamet »... Ces derniers efforts nous conduisent à un petit col sous le sommet du Campbieil, en évitant les corniches de neige et leurs trajectoires probables du mieux que possible. Il est midi nous ne sommes plus qu’à quelques mètres du sommet. Nous passons en quelques mètres de la relative chaleur de la face sud à l’ambiance glaciale des hauts sommets... Le thermomètre est bien en dessous de 0, le vent souffle fort et transporte avec lui des cristaux de neige très fins qui rentrent partout dans nos vêtements encore trempés de sueur par l’effort de la montée... Les doudounes, les gros gants et autres veste goretex sortent des sacs que nous laisserons au col pour s’offrir l’aller et retour au sommet. Les conditions à cet instant me rappellent un autre sommet, plus modeste: le Pic de Nore, point culminant de la Montagne Noire (mon chez moi), qui, bien qu’étant presque 2000m plus bas offre en hiver des conditions parfois à la limite du supportable en terme de froid et de vent... Nous ne resterons pas longtemps au sommet, le temps de faire quelques photos, et de perdre quelques doigts pour plusieurs minutes (retour d’onglet affreusement douloureux...). Nous rangeons les cordes et le matériel de grimpe et nous voici en route pour trouver l’itinéraire de descente, ce n’est jamais fini en montagne... Nous suivant d’abord la crête en direction de l’ouest et de l’arête de la Lentilla. Nous décidons de ne pas la désescalader, cela aurait demandé encore beaucoup d’attention voire certainement quelques manips de corde. Nous cherchons donc un couloir coté ouest du Campbieil, que nous trouvons peu après. Le couloir est raide, bien chargé de neige, nous repérons plus bas un accès qui semble plus facile bien que certainement plus pénible (pente de neige maigre avec cailloux sournois qui tordent les chevilles...). Nous gagnons ainsi le couloir à mi hauteur, dans une neige des plus pénible, croutée et poudreuse en dessous. Chaque pas demande un effort redoublé, pour percer la croute, enfoncer le pied jusqu’à mi tibia, et ressortir le pied... En bonne neige ce couloir aurait demandé 5 minutes à descendre, il nous en faudra au moins 30 ! Pause repas au milieu, nous sommes un peu accablés par ce qui nous attend, si la neige est comme ça jusqu’à la voiture ça va être long, très long ! Nous imaginons même quelques stratagèmes pour laisser d’autres cordées passer devant pour faire la trace... Mais c’est à croire qu’ils élaborent le même plan, c’est la course à celui qui sera derrière... La montagne un milieu d’entraide ??? Nous nous remettons en route avec l’espoir de trouver un raccourci pour nous éviter une longue remontée au col du Campbieil. Arrivés au pied du couloir, une sorte de banquette ou large vire se dessine sur la gauche, les autres cordées continuent de descendre, mais nous allons voir quand même. Ce sera la bonne pioche, la banquette parfois surplombant de petites barres rocheuses nous dépose de ligne de crêtes en ligne de crêtes, à une petite cinquantaine de mètres sous le col du Lenquo des Capo. Isa nous lance : ah ! ça c’est le col du Lenquo de Capo ! Ca se descend en ski c’est parfait, c’est encore plus court que de passer par le Col du Campbieil ! Nickel ! Le moral est au top, la neige est désormais meilleure (en plus) et dans un dernier petit effort nous gagnons le col depuis lequel ne nous restera plus qu’à nous laisser couler jusqu’à la station de Piau, tel un rocher posé sur un glacier... Nous redécouvrons la voie gravie ce jour et c’est dans un grand sentiment de joie que nous nous retournons à de multiples reprise sur une des plus belle faces des Pyrénées !
Un grand merci à Isa, Solenne et Rémi pour cette belle journée en montagne !